09/03/2011

Un monde jeune et beau

Vaguer au milieu des peurs
sans avoir peur
tracer au milieu des doutes
sans dévier de la route
longtemps j’ai cru
que j’aurais pu
aller comme ça
impétueux et fier
et du même pas
été comme hiver
pourtant
cela ne se peut pas.

Ca craque ça tire
ça se déchire
ce monde est fatiguant
à force d’être croulant
ce monde est fatigué
de ne jamais tomber
 et moi d’être vieux
minable et clos
comme eux
fallait partir plus tôt
il y a un moment
où on peut mourir heureux.

Mourir dans la bataille
sous la mitraille
mourir d’amour pour tes yeux
sous d’autres cieux
oui j’ai essayé
puis renoncé
j’ai préféré la vie
cette présence à soi
qui remplit jours et nuits
je ne pensais pas
finir mon temps
en si mauvaise compagnie.

Si l’esprit se maintient
le corps lui ne tient
ni la course ni la marche
ça tangue ça flanche
qu’importe
je m’emporte
l’imbécile savant
pousse un cri
danger ! et pourtant
on dira ici
en l’entendant
voici un âne parlant.

Alors je me tais
je regarde de biais
et j’attends
la venue d’autres gens
qui finiront par comprendre
comment s’y prendre
à l’aide d’un marteau
et d’une faucille
pour qu’un monde nouveau
sorte enfin de sa coquille
souriant
un monde jeune et beau.

01/03/2011

Au bar de la classe ouvrière

Dis donc toi
tu bois tu clopes tu déblatères
tu fais le fier
en t’entendant
il semblerait qu’on puisse
maintenant
voter pour l’ogresse
et s’en vanter
tranquillement
devant d’autres ouvriers
il semblerait qu’on puisse
tout oublier
y compris ce qui s’est passé
ici même
avant la guerre et après
il semblerait qu’on puisse
impunément
trahir sa classe
qu’est-ce que tu dis ?
eh oui trahir
passer dans l’autre camp
comment tu dis ?
ah c’est de l’histoire ancienne
en quoi est-ce que cela
te concerne
toi
ta baraque ta télé ta bagnole
et tout le tralala ?

Tout juste le vieux
Il n’y a rien qui m’intéresse
dans tes histoires
on dirait
des « nuit grave »
marqués sur les paquets de clope
même si c’est vrai
moi ça me fait marrer
alors ce qui s’est passé
il y a 50 ans ou plus
c’est pas mes oignons
et je m’en fous
moi ce que je vois
c’est qu’au chantier
Hassan gagne plus que moi
alors que pour bosser
t’as pigé ?
et c’est pas tout
il y a sa femme aussi
enfin il en a deux de femmes
et bien mignonnes
et même si ma copine
enfin tu vois
à ce rythme là
pour nous des femmes
il n’y en aura plus !
ok d’accord
là je déconne
mais il n’y a pas qu’Hassan
ils sont tous comme ça
les femmes les gosses les triches à la Sécu
c’est écrit en gros dans les journaux
et moi je bosse pour qui
pour leurs gonzesses ?
à cracher les poumons
on n’est plus que trois blancs
dans tout le bâtiment
et pourtant
on bosse comme des nègres

ben quoi
si on peut pas se marrer
oui je suis fils de ritals
oui je m’appelle Gino et alors ?
bien sûr je sais
qu’on on n’était pas bien vus
dans ce pays avant
pépé Mario me le disait toujours
comment qu’on les traitait
et qu’ils étaient racistes
avec les italiens
fallait être con quand même
pour être racistes avec des blancs
maintenant c’est différent
pourquoi ?
mais parce que les arabes sont pas comme nous
nous on n’a jamais cramé des tours
en se jetant dedans
eux c’est des fous
alors

tu dis quoi ?
qu’ il n’y avait pas
que les ritals
tous les ouvriers
on leur tapait dessus
mais forcément
je sais
les congés payés les grèves
les patrons n’en voulaient pas
alors normal
ils envoyaient les fachos
leur écraser le nez
mais je te l’ai dit
c’est vieux tout ça
quoi que j’aimerais pas
qu’on vienne me massacrer
si jamais je voulais
me mettre en grève
là t’as pas tort
quant aux arabes
en Algérie c’est sûr
la torture
et les mecs dans la Seine
comment tu dis ?
tu les as vus
les jeter dedans
morts ou vivants
d’accord d’accord
ça doit faire bizarre
de le voir
mais enfin moi j’en ai marre
pourquoi tu viens me parler de tout ça
je veux boire ma bière
laisse-moi
je suis pas le seul ici
à voter pour eux
quoi ?
juifs
tziganes
homos
handicapés
tous trucidés ?
bon bon d’accord
tu n’as peut-être pas tort
Vichy
Auschwitz
et l’Algérie française ?
je veux finir ma bière.

Putain de ta bière
mais comment elle fait ta mère
avec toi
est-ce qu’elle le sait
que tu viens ici
te dégrader
salir ta vie
et la sienne ?
Ecoute le vieux Paco
pauvre abruti
avec Mario
on s’est connus ici
quand on était petits
nos parents
étaient tous partis
vite fait vite vu
les miens d’Espagne
les siens d’Italie
avec les chemises noires
qui leur tiraient dessus
eh oui petit facho de mes deux
 « eux »
comme tu dis
la blondasse à son père et ses amis
nous on les connaît
tirant sur la classe ouvrière
alors tu laisses ta bière
et dans la minute qui suit
tu fermes ta gueule
et tu disparais d’ici.